Anticiper l’essor prévisible des outils de détection des discriminations systémiques

Le concept de discrimination systémique, désormais appliqué par les juridictions, risque fortement d’être invoqué de plus en plus fréquemment à l’avenir compte tenu de l’essor prévisible des outils permettant de les détecter.

Dans ce contexte, Sébastien LEROY, Avocat associé et Andréa JACQUIER, Juriste au sein du cabinet ACTANCE, invitent les entreprises à mettre en place des contrôles internes permettant de détecter des situations à risque et, le cas échéant, à les corriger par des actions positives.

  1. Notion de discrimination systémique et exemples jurisprudentiels

Le Code du travail dresse la liste de 26 critères de discrimination prohibés parmi lesquels on retrouve notamment l’origine, le sexe, l’identité sexuelle ou encore l’âge (C. trav. art. L 1132-1).

Parmi ces critères, la notion de discrimination systémique pourrait être mobilisée en particulier s’agissant des origines vraies ou supposées, le genre ou encore l’âge.

La discrimination systémique est définie par la doctrine comme « une discrimination qui relève d’un système, c’est-à-dire d’un ordre établi provenant de pratiques, volontaires ou non, neutres en apparence, mais qui donne lieu à des écarts de rémunération ou d’évolution de carrière entre une catégorie de personnes et une autre ».

Dans une affaire concernant l’embauche de salariés étrangers et dans laquelle le Défenseur des droits s’est largement investi, le Conseil de prud’hommes de Paris a rendu un jugement le 17 décembre 2019 (RG n°17/10051) dans lequel il conclu à une situation de discrimination raciale systémique.

Au vu de la répartition des tâches dans l’entreprise, le Conseil a, en effet, jugé que l’employeur avait assigné les tâches les plus dures et les plus dangereuses aux travailleurs maliens positionnés en situation de vulnérabilité en raison de leur situation de séjour.

De même, la Cour d’appel de Grenoble, sans reprendre la terminologie exacte de discrimination systémique utilisée par les salariées, a, cependant, jugé, dans une affaire relative au déroulement de carrière de plusieurs techniciennes, que les pièces versées aux débats, prise dans leur globalité, laissent présumer l’existence d’une discrimination prohibée à raison du sexe. La situation des femmes dans l’entreprise quant à leur progression de rémunération et leur évolution professionnelle est, en effet, moins favorable d’un point de vue générale et plus spécifiquement s’agissant de la même catégorie professionnelle que celle des hommes.

La Cour d’appel a, notamment, retenu comme élément laissant supposer l’existence d’une discrimination les bilans sociaux et les rapports des situations comparées femmes/hommes (CA Grenoble 26 octobre 2023, RG n°18/04136).

Outre ces éléments habituels, auxquels nous pouvons ajouter les résultats de l’index égalité professionnelle et les données relatives au suivi de l’application d’un plan d’action en matière d’égalité femmes/hommes, de nouveaux outils seront à la disposition des salariés, des institutions représentatives du personnel (IRP) et des associations luttant contre les discriminations.

  • Nouveaux outils de détection des discriminations systémiques

Pour rappel, la preuve en matière de discrimination est dite « allégée ». En cas de litige, la charge de la preuve est ainsi partagée :

  • le salarié (mais aussi le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise) qui s’estime discriminé doit « présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte » à l’appui de sa demande ;
  • Au vue de ces éléments, il incombe à l’employeur de démontrer que « sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination » ;
  • En dernier lieu, le juge doit prendre en considération ces éléments d’appréciation pour former sa conviction après avoir éventuellement ordonné « toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles » (C. trav., art. L. 1134-1).

De nouveaux outils probatoires seront vraisemblablement utilisés par les salariés, les IRP et les associations luttant contre les discriminations dans les prochaines années.

D’une part, à compter du 1er janvier 2024, l’entrée en vigueur progressive de la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) obligera progressivement plus de 50 000 entreprises en Europe à établir un reporting extra-financier sur leurs engagements en matière de RSE.

Très concrètement, la CSRD va leur imposer de suivre et de publier, en plus de leur bilan financier, un bilan ESG (environnemental, social et de gouvernance), donnant ainsi autant d’importance à la dimension sociale et durable qu’à la dimension économique de leurs activités.

En matière sociale, ce reporting pourra s’appuyer sur les thématiques établies par le European Financial Reporting Advisory Group (EFRAG) qui comprend des reporting sur les thèmes suivants :  main-d’œuvre interne et travailleurs de la chaîne de valeur.

Les résultats de ce reporting extra-financier pourraient être utilisés par les salariés, IRP et associations pour apporter des éléments laissant supposer l’existence d’une discrimination systémique.

L’Assemblée nationale a adopté, d’autre part,  en première lecture, le 06 décembre 2023, une proposition de loi visant à lutter contre les discriminations par la pratique de tests individuels et statistiques (Proposition de loi n°1494). Elle vise à systématiser la pratique de ces deux types de tests « afin de renforcer l’arsenal de lutte contre les discriminations ».

Elle prévoit, notamment, de confier à la Délégation Interministérielle à la Lutte Contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Haine anti-LGBT (DILCRAH), service placé sous la tutelle du 1er ministre, la réalisation :

  • de tests individuels pouvant mettre en évidence une discrimination subie par une personne réelle, en adressant une candidature similaire à la sienne mais dépourvue du critère de discrimination ;
  • de test statistiques dans le même objectif mais cette fois en adressant à des entreprises ou des administrations un nombre important de candidatures fictives similaires, ne différant que par un critère de discrimination choisi.

Cette proposition de loi tire les enseignements d’une précédente campagne de tests statistiques mise en place en 2020 qui avait pointé du doigt 7 grandes entreprises françaises. Or, la méthodologie appliquée lors de cette campagne de tests avait, selon le gouvernement lui-même, des limites certaines.

Pour éviter cet écueil, la DILCRAH comprendrait un comité des parties prenantes composé :

  • de parlementaires,
  • de personnalités qualifiées,
  • de représentants de sociétés et d’administrations susceptibles d’être testées,
  • de représentants des organisations d’employeurs et des organisations syndicales salariés représentatives au niveau national et interprofessionnel,
  • de représentants d’associations intervenant dans la lutte contre les discriminations ou œuvrant dans le domaine du handicap,
  • d’un représentant du Défenseur des Droits et des parlementaires.

Ce comité serait, en particulier, chargé de participer à l’élaboration de la méthodologie des tests et d’émettre des avis et recommandations sur le suites devant leur être données.

Il serait, dés lors, beaucoup plus délicat pour un employeur de remettre en cause les résultats d’un test concluant à l’existence d’une discrimination prohibée compte tenu des démarches préalables à une campagne de tests.

Face à cet accroissement prévisible des outils entre les mains des salariés, IRP et associations, les entreprises sont incitées à s’emparer du sujet de la diversité et de l’inclusion et peuvent à cet effet diagnostiquer leur situation.

Les entreprises peuvent effectuer diverses études à cet effet.

Elle peuvent effectuer des études quantitatives par corrélations et comparaisons entre des groupes de population sur la base de critères objectifs notamment le genre, l’âge, l’ancienneté, le nombre d’enfant, l’adresse ou encore la nationalité ou le lieu de naissance.

Les études menées peuvent aussi être qualitatives. Il s’agirait de sonder des salariés sur leur ressenti, sur leurs pratiques et leurs comportements face à des situations proposées. Ces études sont particulièrement intéressantes lorsqu’elles portent sur un critère de discrimination qui n’apparaît pas en retenant les critères objectifs précédents (par exemple lorsque des salariés de nationalité française ou d’un pays de l’Union Européenne ont des origines familiales hors Union).

Les entreprises peuvent, par ailleurs, s’auto-tester ou décider de recourir à un prestataire pour effectuer un auto-test statistique de discrimination à l’embauche.

L’ensemble de ces études et tests devront être effectués avec la plus grande rigueur dans le respect du Règlement Général à la Protection des Données (RGPD) et de l’interdiction des fichages ethno-raciaux.

Si le résultat des diagnostiques, laisse supposer l’existence de discriminations systémiques, l’entreprise concernée aura alors la possibilité, sans être sous la contrainte d’une publicité infamante, d’élaborer des actions positives pour corriger la situation.

Ces actions positives obéissent à un régime juridique très encadré afin de ne pas constituer des discriminations à rebours tout aussi prohibées que les discriminations qu’elles entendent combattre.

Les avocats du cabinet ACTANCE sont à votre disposition pour vous accompagner dans les diagnostics que vous souhaiteriez réaliser et, le cas échéant, dans l’élaboration d’actions positives.

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