Preuve des faits fautifs et production par l’employeur de photographies issues d’un compte Messenger

Le 4 octobre 2023, aux termes de deux arrêts, la chambre sociale de la Cour de cassation a confirmé qu’un employeur pouvait, sous certaines conditions, produire des photographies récupérées sur un groupe privé de discussion Messenger afin de démontrer la réalité des faits fautifs ayant conduit au licenciement d’une salariée.

La Cour de cassation rappelle ainsi les règles visant à assurer un équilibre entre :

  • D’une part, le respect de la vie privée des salariées,
  • D’autre part, l’exercice par l’employeur de son droit à la preuve afin d’assurer la défense légitime de ses intérêts.

1- Sur les faits et la procédure  

Deux infirmières travaillant au sein d’un hôpital ont été licenciées pour faute grave, leur employeur leur reprochant notamment d’avoir :

  • introduit et consommé de l’alcool à plusieurs reprises au sein de l’hôpital,
  • organisé des festivités pendant le travail, ce qui avait conduit à des mauvais traitements infligés à des patients,
  • participé à une séance photo en maillot de bain au temps et sur le lieu de travail.

Afin d’établir la réalité des faits fautifs, l’employeur versait aux débats plusieurs témoignages, dont une alerte anonyme, et surtout des messages et photographies échangés sur le réseau social Messenger, communiqués à l’employeur par une salariée faisant partie du groupe Messenger en question.

S’agissant des photographies, les deux infirmières contestaient leur recevabilité, arguant que leur production portait atteinte à leur vie privée.

L’argument avait été rejeté par la cour d’appel de Versailles, laquelle retenait que « dans la mesure où ces photos ont été prises sur le lieu de travail et à destination d’une ancienne collègue de travail, elles relèvent bien de la sphère professionnelle et sont légitimement produites aux débats et révèlent un comportement contraire aux obligations professionnelles de la salariée. »

De plus, s’agissant d’une capture d’écran du groupe Messenger auquel participaient les deux salariées, et dans lequel les échanges démontraient une consommation d’alcool sur le lieu de travail, les juges du fond avaient considéré que « la production d’une telle pièce est en l’espèce justifiée eu égard aux fonctions de la salariée et proportionnée à l’objectif de protection de l’employeur au titre de ses obligations à l’égard des patients. »

2- Sur la décision de la Cour de cassation

Dans sa décision attendue, la Cour de cassation a confirmé la décision des juges du fond.

Certes, les hauts magistrats ont retenu que la production des photographies extraites du compte Messenger portait atteinte à la vie privée des salariées, mais ils ont précisé que celle-ci était, en l’espèce, « indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi, soit la défense de l’intérêt légitime de l’employeur à la protection des patients, confiés aux soins des infirmières au sein de l’établissement ».

Ainsi, dans ce cas particulier, il est jugé que (i) la production de photographies dans le but de prouver la participation à une séance photo en maillot de bain dans l’enceinte de l’hôpital, porte atteinte à la vie privée des salariées concernées, (ii) mais que cette production était indispensable pour l’exercice du droit à la preuve de l’employeur et (iii) proportionnée au but poursuivi, à savoir la défense de l’intérêt légitime de l’employeur à la protection des patients.

3- Sur la portée de cette décision

Trouvant sa source dans les articles 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, le principe du « droit à la preuve » peut justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits, et notamment à la vie personnelle (Cass. soc., 8 mars 2023, n°21-12.492)

La chambre sociale de la Cour de cassation admet désormais de manière constante que le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition cumulative :

  • que cette production soit nécessaire à l’exercice de ce droit,
  • que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi (v. Cass. soc., 9 novembre 2016, n° 15-10.203, publié ; Cass. soc., 25 novembre 2020, n° 17-19.523, publié ; Cass. soc., 10 novembre 2021, n° 20-12.263, publié).

Ainsi, sur le caractère nécessaire à l’exercice du droit à la preuve, les juges retiennent cette condition, notamment lorsque l’employeur ne dispose que de ces éléments pour établir les griefs reprochés dans la lettre de licenciement. Très logiquement, si les griefs peuvent être prouvés par d’autres éléments, un employeur ne saurait soutenir que la production d’éléments portant atteinte à la vie privée des salariés est nécessaire à l’exercice de leur droit à la preuve (v. Cass. soc., 30 septembre 2020, n°19-12.058).

Ainsi, dans les arrêts concernés, la Cour de cassation a retenu que la production de photographies des salariées en maillot de bain était nécessaire à la preuve du grief relatif… à la réalisation d’une séance de photographies en maillot de bain dans l’enceinte de l’hôpital.

A l’inverse, pour les griefs de consommation d’alcool, les Hauts magistrats ont vraisemblablement considéré que la production des messages privés tenus sur Messenger n’était pas indispensable, dès lors que l’employeur prouvait ces griefs par d’autres éléments probants, notamment par des témoignages.

A cet égard, rien ne précise quelle aurait été la position de la Cour de cassation dans l’hypothèse où les témoignages n’auraient pas été suffisamment probants, et si cela aurait rendu, de facto, « nécessaire », la production desdits messages.

Ensuite, sur la condition de l’atteinte proportionnée au but poursuivi, il ressort des décisions rendues en la matière que les juges conservent une approche très restrictive. Dans les arrêts du 4 octobre 2023, les juges ont retenu la défense de l’intérêt légitime de l’employeur à « la protection des patients ».

Il semble donc évident que le contexte dans lequel les faits fautifs ont été commis (au sein d’un hôpital) a influé sur la décision des juges de retenir l’existence d’un intérêt légitime pour l’employeur ; la solution aurait donc pu être différente dans un autre secteur d’activité.

C’est l’occasion de préciser ou rappeler qu’outre la protection de patients, la jurisprudence a déjà, par le passé, consacré d’autres intérêts légitimes de l’employeur, tels que la protection par une association de personnes handicapées (CA Poitiers, 4 mai 2016, n°15/04170) ou encore la confidentialité des affaires (Cass. soc., 30 septembre 2020, n°19-12.058 : concernant une salariée qui avait publié sur son mur Facebook une photographie d’une nouvelle collection de mode présentée exclusivement aux commerciaux de la société sans avoir été rendue publique).

En conclusion, les récents arrêts du 4 octobre 2023 sont une illustration de la construction jurisprudentielle consistant à tenir compte de la balance entre l’exercice du droit à la preuve par l’employeur, et le respect de la vie privée du salarié, tout en maintenant une approche relativement restrictive concernant l’appréciation des conditions justifiant l’atteinte à la vie privée.

Par Pierre-Alexis Dumont, Avocat associé et Romain Michalcak, Avocat au sein du cabinet Actance

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