Santé menstruelle : état des lieux et pistes de réflexion 

Le 15 février 2024, la proposition de loi visant à « améliorer et garantir la santé et le bien-être des femmes au travail » a été rejetée en séance publique par le Sénat. 

Cette proposition visait à introduire un congé menstruel pour les femmes en cas de « règles incapacitantes » (dysménorrhées) liées, par exemple, à des pathologies comme l’endométriose.

Malgré ce rejet, le ministre délégué chargé de la Santé et de la Prévention a d’ores et déjà annoncé que ce sujet « ne restera pas lettre morte » et vouloir ainsi « rouvrir le sujet avec les parlementaires dans les prochaines semaines ».

Dans cette attente, et faute de cadre légal, la prise en compte de la santé menstruelle relève d’un choix de gestion des ressources humaines. Certaines entreprises ont d’ailleurs déjà instauré des dispositifs d’accompagnement des femmes souffrant de menstruations douloureuses.

Après avoir dressé un tour d’horizon des législations existantes, Lou Patez, Collaboratrice et Aymeric de Lamarzelle, Associé au sein du Cabinet Actance avocats, vous proposent quelques pistes de réflexion sur les mesures qui pourraient être mises en place, notamment par voie conventionnelle. 

Tour d’horizon

1- Dans le monde

 S’il n’existe, en France, aucune mesure contraignante ni même aucun cadre légal régissant le congé menstruel, d’autres pays ont pourtant déjà mis en place un tel congé dans leur législation, et pour certains depuis longtemps.

Tel est le cas :

–          du Japon, dont le droit au congé menstruel est consacré par la loi depuis 1947 : celle-ci interdisant à l’employeur de refuser le droit à congé demandé par une femme qui « expérimente des cycles menstruels douloureux » ;

–          de la Corée du Sud qui, depuis 2001, autorise les femmes à prendre un jour de congé menstruel par mois, celui-ci étant cependant non rémunéré ;

–          de l’Indonésie, dont le congé menstruel a été porté à deux jours par mois en 2003, étant souligné que la réglementation indonésienne ne garantit pas le maintien de la rémunération des jours non travaillés ;

–          de Taiwan qui, depuis 2013, accorde un congé menstruel dans la limite d’un jour par mois et d’un total de trois jours par an ;

–          ou encore de la Zambie qui, depuis 2015, a mis en place un congé menstruel autorisant les femmes à prendre, en cas de règles douloureuses, un jour de congé supplémentaire par mois sans préavis ni certificat médical.

Quoi qu’en vigueur depuis de nombreuses années, il faut néanmoins relever, qu’en pratique, ces congés sont peu mobilisés. 

En Europe, c’est l’Espagne qui a ouvert la voie, avec la loi n°1/2023 du 28 février 2023, modifiant la loi sur la santé sexuelle et reproductive et l’interruption volontaire de grossesse.

Cette loi prévoit notamment le bénéfice d’un congé menstruel pour les salariées espagnoles en introduisant une nouvelle cause d’incapacité temporaire liée aux menstruations invalidantes.

 Elle permet ainsi aux femmes de bénéficier d’une prise en charge par la Sécurité sociale à compter du premier jour de l’arrêt, sans délai de carence. 

A date, l’Espagne demeure le premier, et le seul, pays de l’Union européenne à accorder un congé pour règles douloureuses/invalidantes.

2- En France

C’est dans ce contexte normatif international que, le 18 avril 2023, une proposition de loi dite « Santé et bien être des femmes au travail » a été déposée au Sénat.

Celle-ci prévoyait :

·       la possibilité pour les médecins ou les sages femmes de prescrire un arrêt maladie de 13 jours maximum valable un an, pour une durée ne pouvant pas excéder 2 jours par mois, pour les personnes souffrant de menstruations incapacitantes. Cet arrêt pouvait être pris en charge par la Sécurité sociale sans délai de carence ;

·       la possibilité pour les entreprises d’accorder sous la forme d’un congé à leur charge une meilleure prise en charge via une convention ou un accord collectif d’entreprise ou, à défaut, une convention ou un accord de branche.

Elle a finalement été rejetée le 15 février 2024, au motif qu’elle présentait « un certain nombre d’incohérences », parmi lesquelles « la possibilité de délivrer, par avance, un arrêt de travail de deux jours par mois pendant un an, alors que les dysménorrhées peuvent ne pas se manifester certains mois ».

Le Code du travail étant donc silencieux sur l’impact des menstruations douloureuses dans les relations de travail, leur prise en compte dans le milieu professionnel ne peut donc relever que d’une politique de gestion des ressources d’humaines.

La prise en compte de la santé menstruelle dans l’entreprise : une question relevant de la politique de gestion des ressources humaines

Dans un sondage réalisé par l’IFOP en mai 2021, près d’une femme sur deux disait souffrir de dysménorrhée et 20 % déclaraient avoir des règles très douloureuses.

Parce qu’elle concerne des millions de femmes, cette problématique devient nécessairement un sujet de santé au travail a fortiori dans la mesure où elle impacte directement les relations de travail compte-tenu des absences répétées ou imprévues qu’elle peut générer voire, tout simplement, de l’impossibilité pour les personnes en souffrant de pouvoir réaliser leurs missions de manière efficace.

Faute d’encadrement législatif et/ou réglementaire relatif au congé menstruel, il appartiendra en particulier aux partenaires sociaux de se saisir de la question.

Puisque la réponse doit être adaptée aux particularités de chaque entreprise, la négociation d’entreprise devient la voie privilégiée : les partenaires sociaux ayant, au surplus, toute latitude en la matière.

Les mesures suivantes pourraient par exemple être envisagées :

Ø  mise en place d’actions de formation, d’information et de sensibilisation des managers et des ressources humaines sur la question de la santé menstruelle ;

Ø  nomination de référents dans l’entreprise, notamment en matière d’égalité homme/femmes ;

Ø  mise à disposition d’équipements, dans l’entreprise, pour les personnes souffrant de dysménorrhées : distribution de protections hygiéniques, salles de repos, tables modulables, accès à des ballons gonflables, bouillottes ;

Ø  facilitation du recours au télétravail, en précisant par exemple expressément dans l’accord collectif applicable, à ou défaut dans la charte de l’employeur, les modalités d’accès au télétravail des salariées souffrant de dysménorrhée ;

 Ø  possibilité d’adapter le rythme de travail : assouplissement et/ou aménagement des horaires de travail avec, le cas échéant, possibilité de récupération ;

Ø  possibilité d’aménager le poste de travail ;

Ø  octroi d’autorisation d’absence dans la limite d’un certain nombre de jours par mois et/ou par an.

 Concernant ces autorisations d’absence, il conviendra impérativement d’aborder les questions suivantes :

o   conditions d’octroi : ancienneté dans l’entreprise, exigence ou non d’un certificat médical ou d’une attestation sur l’honneur ;

o   modalités de prise des autorisations d’absence : instauration ou non d’un délai de prévenance, possibilité, ou non, de les fractionner et/ou de les cumuler d’un mois sur l’autre ;

o   modalités de rémunération des autorisations d’absence ;

o   assimilation, ou non, à du temps de travail effectif ;

o   articulation avec le télétravail.

 S’agissant de l’instrument choisi, il pourra s’agir par exemple :

–          d’un accord sur la qualité de vie au travail ;

–          d’un accord relatif à l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes ;

–          d’un accord relatif à l’aménagement du temps de travail ;

–          voire même d’un accord spécifique.

 En toute hypothèse, et faute d’accord, un plan d’action ou des mesures unilatérales pourraient parfaitement être envisagées.

***

Le cabinet ACTANCE demeure naturellement à votre disposition afin de vous accompagner dans la mise en œuvre de telles mesures.