Présomption de démission : focus sur un dispositif aux contours d’ores et déjà incertains

harcèlement moral

La procédure spécifique liée à la sanction de l’abandon de poste est entrée en vigueur au lendemain de la publication du décret n° 2023-275 du 17 avril 2023, son application a notamment fait l’objet d’une publication d’un Question-Réponse qui a d’ores et déjà fait l’objet de nombreuses interrogations.

Louis Mellone, Avocat & Chloé Bouchez, Avocate Associée au sein du Cabinet ACTANCE, reviennent sur les implications de ce nouveau dispositif et les questions soulevées par le Q/R du Ministère du Travail.

  • Rappel sur la procédure applicable à l’abandon de poste

Si auparavant le salarié ayant abandonné son poste volontairement pouvait faire l’objet d’une procédure disciplinaire et d’un licenciement pour faute grave, la loi du 21 décembre 2022 portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi et son décret d’application ont instauré une procédure spécifique destinée à permettre à l’employeur de considérer le salarié comme étant démissionnaire.

Cette procédure a ainsi été codifiée à l’article L. 1237-1-1 venant compléter la sous-section du code du travail relative à la démission en ces termes :

« Le salarié qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure de justifier son absence et de reprendre son poste, par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge, dans le délai fixé par l’employeur, est présumé avoir démissionné à l’expiration de ce délai.           

Le salarié qui conteste la rupture de son contrat de travail sur le fondement de cette présomption peut saisir le conseil de prud’hommes. L’affaire est directement portée devant le bureau de jugement, qui se prononce sur la nature de la rupture et les conséquences associées. Il statué au fond dans un délai d’un mois à compter de sa saisine.          

Le délai prévu au premier alinéa ne peut être inférieur à un minimum fixé par décret en Conseil d’Etat. Ce décret détermine les modalités d’application du présent article.
 »

Il a également été inséré parmi les dispositions règlementaires du Code du travail un article R. 1237-13 précisant notamment que :

« […] Le délai mentionné au premier alinéa de l’article L. 1237-1-1 ne peut être inférieur à quinze jours. Ce délai commence à courir à compter de la date de présentation de la mise en demeure prévue au premier alinéa. »

Pour faire application de ce nouveau dispositif, l’employeur doit donc adresser au salarié ayant quitté son poste une mise en demeure de justifier de son absence et de reprendre son poste. Le texte précise que cette mise en demeure peut être adressée soit par courrier recommandé, soit par lettre remise en main propre contre décharge.

Au regard de l’absence volontaire du salarié de son poste, il sera préférable de retenir l’envoi d’un courrier recommandé, pour la simple et bonne raison que le salarié est en principe absent de son poste.

Il n’en demeure pas moins que le courrier de mise en demeure doit prévoir un délai durant lequel le salarié peut communiquer ses éventuels justificatifs, notamment :

  • Des raisons médicales ;
  • L’exercice de son droit de retrait ;
  • L’exercice de son droit de grève ;
  • Son refus d’exécution une instruction contraire à une réglementation ;
  • Son refus d’une modification de son contrat de travail (R. 1237-13 du Code du travail).

Il convient de noter toutefois que ce délai court à compter de la présentation de la mise en demeure au salarié et ne peut être inférieur à quinze jours.

Faute pour le salarié de communiquer un justificatif dans le délai fixé par l’employeur, ce dernier sera présumé démissionnaire.

Il convient de noter que cette rédaction soulève d’ores et déjà au moins question :

Qu’en est-il du salarié ayant abandonné son poste et qui ne retire pas le recommandé lui ayant été adressé ?

Si la jurisprudence n’a pas encore eu l’occasion de prendre position sur le sujet, il nous semble que le régime de la présomption de la démission devrait suivre celui du cas dans lequel la notification du licenciement ne parvient pas à son destinataire en raison d’une non-distribution par la Poste de la lettre avec accusé de réception.

Dans ce cas, la Cour de cassation a notamment tranché en considérant que le licenciement ne pouvait être considéré comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 30 nov. 2017, n° 16-22.569), ce qui nous conduit nécessairement à penser que la présomption de démission aurait vocation à produire ses effets, y compris si le salarié refuse de retirer son courrier.

Il convient de noter par ailleurs que le Q/R du Ministère du Travail a également tranché dans ce sens en indiquant au sein de la question n° 3 que « si le salarié refuse de prendre connaissance de la mise en demeure, cette dernière est quand même notifiée régulièrement dès lors qu’elle a bien été présentée au domicile du salarié ». 

L’analyse tenant à considérer que la présomption de démission s’applique y compris face à un salarié refusant la réception du courrier recommandé nous semble se dessiner comme une position relativement stable, même si le Q/R en question a apporté aux débats son lot d’interrogations.

  • Sur l’incertitude soulevée par le Q/R du Ministère du Travail

Parmi les positions prises par le QR du Ministère, l’une d’entre elle a attiré l’attention de bon nombres de juristes et suscité de vives critiques.

En effet, dès la première question, il est indiqué que « si l’employeur désire mettre fin à la relation de travail avec le salarié qui a abandonné son poste, il doit mettre en œuvre la procédure de mise en demeure et de présomption de démission. Il n’a plus vocation à engager une procédure disciplinaire pour faute. »

Force est de constater qu’au regard de la rédaction des dispositions issues de la loi Marché du Travail et du décret n° 2023-275, l’interprétation faite par le Ministère semble particulièrement extensive en ce qu’elle semble imposer à l’employeur une seule et unique voie en cas d’abandon de poste alors que les textes ne font nullement état d’une telle obligation.

Si l’objet de la loi est évidemment de faire en sorte que l’employeur recours de manière généralisée à l’application de ce nouveau dispositif, il nous semble que le licenciement pourrait être également envisagé.

Nous pouvons par ailleurs nous interroger sur la valeur d’un Q/R du Ministère du Travail et rappeler que celui-ci n’est nullement créateur de droit et constitue simplement une source d’information destinée à aiguiller le lecteur dans l’interprétation des textes ainsi mis en lumière.

Par ailleurs il convient de souligner que ce même Q/R fait actuellement l’objet de deux recours en excès de pouvoir devant le Conseil d’Etat, ce qui pourrait aboutir à remettre en cause les indications dont il fait mention.

Enfin, quand bien même la présomption de démission semble avoir vocation à remplacer la procédure disciplinaire afférente au licenciement pour foute grave, il nous semble nécessaire de rappeler que les textes ayant instauré ce nouveau disposition ne prévoient aucune sanction à l’égard de l’employeur qui ferait le choix d’une procédure de licenciement.

La loi Marché du Travail et son décret d’application n’apportent d’ailleurs aucune précision quant à la situation dans laquelle l’employeur envisagerait de se prévaloir non seulement d’un abandon de poste, mais également d’autres griefs susceptibles de justifier un licenciement. 

Les avocats du cabinet Actance se tiennent à votre disposition pour échanger autour de vos pratiques face à l’instauration de ce nouveau dispositif, évaluer ensemble les risques pouvant en découler et y apporter des solutions juridiques et concrètes.

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