L’enquête interne: outil de prévention, d’aide à la décision et de gestion des risques

Dans un contexte de vigilance accrue, l’enquête interne s’apparente à une véritable investigation menée au sein d’une entité afin de collecter et d’analyser des informations et des données pour qualifier juridiquement des faits et leur donner, le cas échéant, les suites disciplinaires voire pénales qui s’imposent.

Inspirée d’une pratique anglo-saxonne, l’enquête interne constitue aujourd’hui un véritable outil stratégique de gestion du risque contentieux pour l’entreprise et porte en elle des enjeux organisationnels décisifs.

Rapportée à la matière sociale, l’enquête interne induit des questions RH évidentes lorsqu’elle intervient en cas de harcèlement moral ou sexuel, domaines dans lesquels une obligation de prévention pèse sur l’employeur. En effet, celui-ci est tenu d’adopter un management exempt de harcèlement d’une part et de prévenir les agissements pouvant être qualifiés comme tels d’autre part.

Ainsi, lorsque des comportements dénoncés sont susceptibles d’être qualifiés d’agissements de harcèlement, il s’agit finalement pour l’employeur de parvenir à enquêter efficacement au sein de l’entreprise, tout en évitant les écueils propres à ce mécanisme afin de prendre une décision éclairée et garantir la recevabilité du rapport établi dans l’hypothèse d’un contentieux ultérieur.

La jurisprudence et la doctrine tracent aujourd’hui les grandes lignes des bonnes pratiques en matière d’enquête interne.

L’enquête interne comme moyen pour l’entreprise de remplir son obligation de sécurité

En dehors de l’enquête diligentée dans le cadre de l’exercice, par un membre du CSE, de son droit d’alerte, consécutif à l’existence d’une cause de danger grave et imminent, en cas d’atteinte aux droits des personnes ou également en matière de santé publique et d’environnement (art. L2312-59, L2312-60, L4131-1 et suivants et L4132-2 C. trav.), le code du travail ne prévoit pas davantage de dispositions relatives à l’enquête interne.

L’employeur est toutefois tenu de prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement moral (art. L1152-4 C. trav.) et sexuel (art. L1153-5 C. trav.), cette prévention entrant dans le champ de son obligation plus générale de sécurité et de protection de la santé des salariés (art. L4121-2 C. trav.).

Ainsi, la jurisprudence a consacré le caractère obligatoire de l’enquête interne en cas de dénonciation de faits susceptibles de revêtir les qualifications de harcèlement moral ou sexuel. Ce constat apparaît d’autant plus vrai que l’inaction fautive de l’employeur pourra lui être reprochée (en ce sens, Cass. soc. 17 octobre 2012, n° 11-18.884).

La jurisprudence considère notamment que pour satisfaire à l’obligation générale de prévention, l’employeur doit adopter un comportement actif et diligenter une enquête en cas de dénonciation de faits de harcèlement moral, peu important d’ailleurs que cette qualification ne soit pas retenue in fine (Cass. soc., 27 novembre 2019, n° 18-10.551). Le même raisonnement a été développé en matière de harcèlement sexuel (Cass. soc., 8 juillet 2020, n° 18-24.320).

Dans ce contexte, l’enquête interne tend donc à devenir inévitable, même si dans certains cas, un contrôle préalable de crédibilité des signalements ou alertes peut s’avérer nécessaire.

Consécutivement à un signalement, il y a donc lieu, dans le respect des éventuelles dispositions internes relatives aux procédures d’enquêtes et aux modalités de fonctionnement du CSE :

  • d’analyser les faits dénoncés et solliciter, si nécessaire, des précisions à la victime potentielle d’une part,  à l’auteur du signalement,  lorsqu’un tiers est à l’origine de l’information, d’autre part ;
  • si la gravité des faits le requiert et que ceux-ci apparaissent suffisamment caractérisés, de prononcer des mesures conservatoires à l’encontre du salarié dont le comportement a été signalé ;
  • d’organiser une enquête, de préférence conjointe Direction/CSE (en y associant le référent harcèlement), ou confiée à la CSSCT si elle existe, voire à une commission ad hoc : les circonstances ne permettant pas, parfois, une enquête paritaire (si tel est le cas il appartiendra à la Direction de mener cette enquête avec sérieux et objectivité)

La délégation en charge de l’enquête devra auditionner les salariés sur les faits litigieux, la victime potentielle et enfin le mis en cause, et établir des comptes-rendus écrits de ces entretiens, lesquels devront comporter des garanties suffisantes en termes d’impartialité et de confidentialité des données.

  • de clôturer l’enquête, sur le fondement du rapport établi et d’en tirer les conséquences à l’égard de l’ensemble des protagonistes.

En somme, le recours croissant aux enquêtes internes et l’engouement parfois contraint des entreprises à faire usage de cet outil de rationalisation de leurs risques, sont les marqueurs de la place centrale qu’occupe désormais ce mécanisme dans les politiques RH.

Dans ce contexte, le rapport d’enquête interne apparaît comme un outil d’aide à la décision mais également d’anticipation et de rationalisation du risque contentieux.

Le rapport d’enquête interne comme moyen pour l’entreprise d’optimiser la gestion de son risque contentieux

Bien que la Chambre sociale tende à faire preuve de souplesse quant à la force probante du rapport d’enquête interne, il importe à notre sens que ce document mette en exergue le sérieux des investigations réalisées par l’entreprise, dans un objectif de meilleure persuasion des juges du fond en cas de contentieux.

Signes de cette souplesse, la Chambre sociale a retenu la valeur probante des rapports d’enquêtes internes au cours desquelles :

  • seule la moitié des collaborateurs, issus presque tous d’un seul des deux services dirigés par le salarié mis en cause, avait été entendue (Cass. soc. 8 janvier 2020, n° 18-20.151) ;
  • le mis en cause n’avait été ni entendu, ni informé – l’article L1222-4 du code du travail, prévoyant l’obligation d’information préalable du salarié en cas de collecte d’informations personnelles, n’étant pas applicable en matière d’enquête interne – (Cass. soc. 17 mars 2021, n° 18-25.597) ;
  • les représentants du personnel n’avaient pas été associés à la conduite de l’enquête (Cass. soc. 1er juin 2022, n° 20-22.058) ;
  • l’accès au dossier et aux pièces recueillies au salarié mis en cause n’avait pas été garanti et une audition commune des deux salariées s’étant plaintes avait été menée (Cass. soc. 29 juin 2022, n° 20-22.220.).

Il reste que la Cour d’appel de Paris avait déjà souligné, dans un arrêt important du 25 janvier 2018, que l’enquête interne devait être conduite de façon « méticuleuse, paritaire et loyale » (CA Paris, Pôle 6 chambre 5, 25 janvier 2018, n° 15/08177).

Il faut, en effet rappeler, que le juge n’est pas lié par les conclusions du rapport d’enquête, si bien que sa conviction sera davantage susceptible d’être emportée en cas d’investigations respectant le principe d’impartialité, les faits devant être présentés à l’ensemble des parties concernées selon la même méthodologie.

La Cour de cassation a admis la possibilité de recourir à un tiers pour mener cette enquête, ce qui, selon le contexte, peut s’avérer parfois nécessaire (Cass. soc. 17 mars 2021, n° 18-25.597).

Afin d’optimiser la force probante du rapport d’enquête interne, il apparaît opportun :

  • d’associer les représentants du personnel (ainsi que le référent harcèlement) dans le processus d’enquête, notamment en informant le CSE sur le déroulement et les conclusions de l’enquête ;
  • d’auditionner plusieurs salariés collaborant directement ou indirectement avec le mis en cause, afin d’instruire à charge et à décharge ;
  • d’établir des comptes-rendus écrits de ces entretiens ;
  • de collecter des témoignages (avec les pièces d’identité) afin de pouvoir, si nécessaire, les produire dans le cadre d’un contentieux ;
  • d’entendre en dernier lieu le salarié mis en cause.

Naturellement, le cabinet Actance peut vous accompagner dans le cadre de la mise en œuvre d’enquêtes internes consécutives à la dénonciation de faits de harcèlement moral ou sexuel.

Par  Sophie Rey, Avocate associé et Bilkiss Omarjie, Juriste, au sein du Cabinet ACTANCE AVOCATS

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