Elections professionnelles : le projet de Loi étend la qualité d’électeur aux salariés assimilés à l’employeur

Les articles L. 2314-18 et L. 2314-19 du Code du travail posent les conditions d’électorat et d’éligibilité aux élections professionnelles.

Sur la base de ces articles, la Cour de cassation juge, de manière constante, que ne peuvent être ni électeurs, ni éligibles (notamment Cass. soc., 31 mars 2021, n°19-25.233) :
–          les salariés disposant d’une délégation écrite particulière d’autorité leur permettant de les assimiler à un chef d’entreprise pour la durée de cette délégation ;
–          ou les salariés qui représentent effectivement l’employeur devant les institutions représentatives du personnel.
Par une décision n°2021-947 du 19 novembre 2021, le Conseil constitutionnel, considérant que les dispositions de l’article L. 2314-18 du Code du travail, tel qu’interprété par la jurisprudence constante de la Cour de cassation, porte une atteinte disproportionnée au principe de participation des travailleurs en ce qu’il prive des salariés de la possibilité de participer en qualité d’électeur à l’élection du CSE, a déclaré cet article contraire à la Constitution.
Le Conseil constitutionnel a reporté l’abrogation des dispositions de l’article L. 2314-18 du Code du travail au 31 octobre 2022.
Au regard de cette échéance et dès lors que le renouvellement de nombreux CSE s’engage, il est désormais urgent que le législateur adopte un nouveau texte.
L’article 3 du projet de Loi dit « Marché du travail » réécrit l’article L. 2314-18 et modifie l’article L. 2314-19 du Code du travail.
Caroline CARMIER JOUY et Juliette LACAILLE, avocate counsel et juriste au sein du Cabinet Actance, reviennent sur les apports de l’article 3 du projet de Loi « Marché du travail ».

·      La qualité d’électeur serait reconnue aux salariés assimilés à l’employeur

Comme rappelé ci-avant, la Cour de cassation considère, aux termes de sa jurisprudence constante, que sont exclus de l’électorat aux élections professionnelles :
–          les salariés disposant d’une délégation écrite particulière d’autorité leur permettant de les assimiler à un chef d’entreprise pour la durée de cette délégation ;
–          ou les salariés qui représentent effectivement l’employeur devant les institutions représentatives du personnel.
C’est cette interprétation des dispositions de l’article L. 2314-18 du Code du travail que le Conseil constitutionnel a déclaré inconstitutionnelle dans sa décision n°2021-947 du 19 novembre 2021.
 L’article 3 du projet de Loi vise donc à mettre en conformité les dispositions de cet article du Code du travail.
 L’article 3 du projet de Loi, dans sa rédaction proposée à date, réécrit les dispositions de l’article L. 2314-18 du Code du travail relatif à l’électorat comme suit :
Rédaction actuelleNouvelle rédaction
Sont électeurs les salariés des deux sexes, âgés de seize ans révolus, travaillant depuis trois mois au moins dans l’entreprise et n’ayant fait l’objet d’aucune interdiction, déchéance ou incapacité relatives à leurs droits civiquesSont électeurs l’ensemble des salariés âgés de seize ans révolus, travaillant depuis trois mois au moins dans l’entreprise et n’ayant fait l’objet d’aucune interdiction, déchéance ou incapacité relatives à leurs droits civiques
 En visant « l’ensemble des salariés », le législateur ferait ainsi échec à la jurisprudence de la Cour de cassation qui exclut de la qualité d’électeur les salariés assimilés à l’employeur.
 La nouvelle rédaction de l’article L. 2314-18 du Code du travail permettrait ainsi la reconnaissance de la qualité d’électeur à l’ensemble des salariés quel que soit leur niveau de responsabilité et donc également aux salariés assimilés à l’employeur.

 ·      Les salariés assimilés à l’employeur demeureraient inéligibles

Dans sa décision n°2021-947 du 19 novembre 2021, le Conseil constitutionnel n’a pas remis en cause la jurisprudence de la Cour de cassation écartant de l’éligibilité aux élections professionnelles les salariés assimilés à l’employeur.
Afin de maintenir cette exclusion, l’article 3 du projet de Loi, dans sa rédaction proposée à date, complète l’alinéa 1 de l’article L. 2314-19 du Code du travail relatif à l’éligibilité comme suit :  
Rédaction actuelleNouvelle rédaction
Sont éligibles les électeurs âgés de dix-huit ans révolus, et travaillant dans l’entreprise depuis un an au moins, à l’exception des conjoint, partenaire d’un pacte civil de solidarité, concubin, ascendants, descendants, frères, sœurs et alliés au même degré de l’employeur.Sont éligibles les électeurs âgés de dix-huit ans révolus, et travaillant dans l’entreprise depuis un an au moins, à l’exception des conjoint, partenaire d’un pacte civil de solidarité, concubin, ascendants, descendants, frères, sœurs et alliés au même degré de l’employeur, ainsi que des salariés qui disposent d’une délégation écrite particulière d’autorité leur permettant d’être assimilés au chef d’entreprise ou qui le représentent effectivement devant le Comité social et économique
 Toutefois, le texte, dans sa rédaction proposée à date, pose question dès lors qu’il fait référence exclusivement aux salariés représentant l’employeur devant le Comité social et économique
 La jurisprudence de la Cour de cassation exclut de l’éligibilité les salariés qui représentent l’employeur devant les institutions représentatives du personnel (c’est-à-dire le CSE mais également notamment les représentants de proximité – Cass. soc., 31 mars 2021, n°19-25.233) mais également plus largement les salariés qui le représentent lors des négociations collectives.
 Or, le texte du projet de Loi ne fait expressément référence qu’au Comité social et économique ; ce qui pourrait conduire à rendre éligible les salariés représentant l’employeur lors des réunions de CSSCT (quand bien même cette Commission étant une émanation du CSE un débat pourrait être soulevé) ou auprès des représentants de proximité.
Il est très probable que le texte de l’article 3 du projet Loi évolue sur ce point.

·       Les incertitudes relatives à l’adoption des nouveaux articles L. 2314-18 et L. 2314-19 du Code du travail

Ce projet de Loi a été transmis aux partenaires sociaux le 26 août 2022 et a été présenté en Conseil des Ministres le 7 septembre. Il devrait être examiné dans le courant du mois d’octobre par l’Assemblée nationale avec pour objectif une entrée en vigueur de la Loi au 1er novembre 2022.
La date d’abrogation de l’article L. 2314-18 du Code du travail, dans sa version actuelle, étant fixée au 31 octobre 2022, il faut donc espérer une adoption rapide de la Loi « Marché du travail » afin que ces articles puissent entrer en vigueur le 1er novembre 2022 comme cela est prévu par le projet de Loi.
Toutefois, compte tenu de la sensibilité du sujet et du possible impact de la nouvelle définition des conditions d’électorat et d’éligibilité lors des prochaines élections professionnelles, il est légitime de penser que ce texte fera l’objet de débats lors de son étude au Parlement, susceptible d’en modifier la rédaction actuelle et de retarder son adoption.
Le Cabinet Actance est à votre disposition pour répondre, dans ce contexte, à toutes vos interrogations.

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