Application du principe d’égalité de traitement au sein de sociétés composant une UES

responsabilité employeur

Depuis l’arrêt dit Ponsolle de 1996 et la consécration de l’adage « à travail égal, salaire égal » (Cass. soc., 29 octobre 1996, n° 92-43.680), le principe d’égalité de traitement fait l’objet d’une construction jurisprudentielle dense et continue.

Mais plus que la notion d’égalité de traitement à proprement parler, c’est le périmètre d’application de ce principe qui a le plus occupé les juges.

C’est dans cette construction que s’intègre un arrêt du 8 septembre 2021, lequel énonce que :

« Au sein d’une unité économique et sociale, composée de personnes juridiques distinctes, il peut, pour la détermination des droits à rémunération du salarié d’une entreprise, y avoir comparaison entre les conditions de rémunération de ce salarié et celles d’autres salariés d’autres entreprises comprises dans l’unité économique et sociale, lorsque ces conditions sont fixées par la loi, une convention ou un accord collectif commun, ainsi que dans le cas où le travail de ces salariés est accompli dans le même établissement. » (Cass. soc., 08-09-2021, n° 19-24.771)

1- Les faits

En l’espèce, des salariés d’une société X ont été affectés en 2011 sur l’établissement d’une autre société Y. Or, le traitement salarial en vigueur dans cet établissement au profit des salariés de la société Y était, sur certains thèmes, plus avantageux que celui appliqué aux salariés de la société X.

C’est pourquoi ces derniers, sur le fondement du principe d’égalité de traitement, ont sollicité la condamnation de leur employeur au paiement de rappels de salaire, de prime d’ancienneté, de prime de 13ème mois et des congés payés afférents par comparaison avec leurs collègues de la société Y.

Pour s’opposer à cette demande, l’employeur faisait valoir que la société X et Y étant distinctes, il n’y avait pas lieu de comparer les situations de leurs salariés respectifs.

2- La décision

La Cour d’appel, confirmée par la Cour de cassation, donne néanmoins gain de cause aux salariés après avoir constaté :

  • En premier lieu, que la société X ne contestait pas appartenir à la même unité économique et sociale (UES) que la société Y ;
  • En second lieu, qu’à partir 2011, les salariés des deux sociétés :
  • exerçaient leurs activités professionnelles dans le même établissement,
  • effectuaient le même travail, au profit d’activités économiques similaires,
  • occupaient les mêmes fonctions, sous la direction des mêmes supérieurs hiérarchiques.

Il en résulte alors, selon la Cour de cassation, que les salariés étaient placés dans une situation identique, de sorte qu‘ils « étaient fondés à comparer, à partir du regroupement, leurs rémunérations avec celles des salariés Y exerçant dans le même établissement dans des conditions identiques aux leurs, (…) ».

Dès lors, la Haute juridiction précise que la solution retenue serait différente – et exclurait l’application du principe « à travail égal salaire égal » – lorsque les salariés d’une même UES ne travaillent pas dans un même établissement.

3- La portée

A première vue, cette décision a de quoi surprendre tant la jurisprudence a, par le passé, entendu limiter le périmètre d’application du principe d’égalité de traitement à l’entreprise considérant que cette obligation pesait sur l’employeur des salariés (voir notamment Cass. Soc, 16 septembre 2015 n° 13-28.415 : « le principe d’égalité de traitement n’est pas applicable entre salariés d’entreprises différentes, peu important qu’elles appartiennent au même groupe »).

Néanmoins, après analyse, il s’avère que l’arrêt du 8 septembre 2020 ne modifie pas profondément la manière d’appréhender le principe d’égalité de traitement et son périmètre d’appréciation.

Notons, en premier lieu, que cet arrêt constitue la confirmation d’un arrêt de 2005 dans lequel la Cour avait adopté le même attendu de principe (Cass. soc., 01-06-2005, n° 04-42.143, FS-P+B+R+I)

En second lieu, l’arrêt ici commenté à une portée limitée dès lors que :

  • D’une part, la comparaison n’est possible qu’à condition que les salariés soient employés par des sociétés qui forment entre elles une unité économique et sociale (UES) ;

Or, rappelons sur ce point qu’outre le critère de l’unité économique (concentration des pouvoirs et complémentarité des activités), l’UES est marquée par une unité sociale dont les indices révélateurs sont essentiellement constitués :

  • d’une permutabilité ou d’une mobilité du personnel entre les différentes entreprises,
    • d’une gestion unique et centralisée du personnel,
    • de conditions de travail, de rémunération et de statut social uniques (voir notamment Cass, Soc 3 mars 2021, n° 19-20.245).
  • D’autre part, la Cour précise que la comparaison doit concerner :
  • Soit les conditions de rémunération fixées par la loi, une convention ou un accord collectif commun,
  • Soit des salariés qui accomplissent leur travail dans un même établissement.

Il est à noter toutefois que dans cette espèce les salariés relevaient d’accords collectifs distincts (avenant de la presse régionale et avenant de la presse départementale). Néanmoins, la Cour retenant l’identité des situations dans laquelle étaient placés les salariés (mêmes fonctions, même activité, même périmètre géographique d’activité, même lieu de travail, mêmes supérieurs hiérarchiques, mêmes directives, …), considère que l’existence de ces accords ne saurait suffire à justifier des différences de traitement entre eux.

Par conséquent, cette décision ne remet pas en cause le principe selon lequel l’égalité de traitement s’apprécie entre des salariés qui appartiennent à une même entreprise, mais elle tend à étendre la notion d’entreprise à la réalité sociale que constitue un établissement dans lequel travaillent des salariés provenant de sociétés distinctes, mais appartenant à une même UES. On pourrait néanmoins regretter l’absence de précision relative à la notion d’établissement.

En tout état de cause, à date, cette évolution jurisprudentielle ne semble pas pouvoir être étendue à la situation des salariés d’entreprises appartenant à un groupe, qui ont des employeurs distincts et sont soumis à des accords collectifs conclus avec leur propre employeur ne liant pas les employeurs des autres entreprises

Cependant, il ne peut être totalement exclu une extension de l’applicabilité de ce principe d’égalité en présence de mises à disposition intra-groupe dès lors que la fréquence de ces mises à disposition attesterait de l’existence d’une permutabilité ou d’une mobilité du personnel et pourrait constituer des indices permettant la caractérisation d’une UES et in fine l’existence de situations objectivement comparables.

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Par Nicolas MERLE, Avocat & Nelly POURTIER, Avocate associée
Cabinet ACTANCE AVOCATS