Inaptitude : les nouveaux contours de l’obligation de reclassement

reclassement

Le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs, dit « projet de loi El Khomri », a fait l’objet de vives controverses dans l’opinion publique, emportant de premiers ajustements en réponse aux critiques accueillies.

Le recours à l’article 49 alinéa 3 le mardi 10 mai 2016 a renforcé les inquiétudes et emporté une vague de manifestations. S’agissant en particulier de l’inaptitude, le titre V intitulé « Moderniser la médecine du travail » entend apporter des modifications substantielles à la procédure en jeu, en particulier quant à l’obligation de reclassement pesant sur l’entreprise.

  • La création d’un nouveau cas de dispense de reclassement ambigu

Pour rappel, depuis la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi (« loi Rebsamen »), l’article L. 1226-12 du code du travail fondant le licenciement pour inaptitude professionnelle a été complété en son deuxième alinéa : « [L’employeur] peut également rompre le contrat de travail si l’avis du médecin du travail mentionne expressément que tout maintien du salarié dans l’entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé ».

L’expression « dans l’entreprise » a suscité de nombreuses interrogations : devait-on considérer que l’employeur était dispensé de son obligation de reclassement dans la seule entreprise ?

Position défendue par une partie de l’administration, elle était justifiée par les termes-mêmes de la mention portée à l’avis médical d’inaptitude – le médecin se prononce uniquement sur le maintien du salarié « dans l’entreprise » – et impliquait que la recherche de reclassement persiste pour tous les postes disponibles au sein du groupe, dès lors qu’ils se trouvaient hors l’entreprise.

L’autre interprétation conduisait à envisager l’expression « dans l’entreprise » en tant que mention de pure forme, justifiant en soi le licenciement pour inaptitude et la dispense de l’étape du reclassement.

Au vu des débats parlementaires et du rapport du groupe de travail « Aptitude et médecine du travail » emmené par Michel Issindou, cette option paraissait probable, s’inscrivant dans l’élan de simplification voulue par la loi Rebsamen.

En outre, si le médecin du travail jugeait le salarié inapte à tout poste dans l’entreprise mais apte à d’autres postes au sein du groupe, il pouvait tout à fait émettre des préconisations de reclassement géographique et fonctionnel. Nul besoin d’en passer par une déclaration d’inaptitude.

A l’appui de cette seconde option, il fallait enfin relever la rédaction de l’article L. 1226-12 du code du travail, qui autorise le licenciement :

  • Si l’employeur justifiait de son impossibilité de proposer un poste de reclassement ;
  • Si l’employeur justifiait du refus par le salarié du poste proposé ;
  • Si l’avis du médecin du travail mentionnait expressément que tout maintien du salarié dans l’entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé.

Dès lors que la mention était portée à l’avis médical d’inaptitude, l’employeur était en droit de licencier le salarié inapte. Il n’était même pas question de reclassement. La seule mention suffisait à faire tomber cette étape de la procédure, de façon générale.

Malgré une nette préférence pour une dispense totale de reclassement, la prudence conduisait à conseiller une recherche de reclassement dans toutes les entreprises du groupe, hors l’entreprise d’origine du salarié.

Aussi le projet de loi Travail arrivait-il à point nommé pour supprimer toute espèce de doute et trancher clairement un débat qui n’avait pas lieu d’être.

Pourtant, loin de clarifier les obligations en matière de reclassement, le projet ajoute au contraire un nouveau cas de dispense tout aussi équivoque, employant la même expression sibylline « dans l’entreprise » : « L’employeur ne peut rompre le contrat de travail que s’il justifie […] de la mention expresse dans l’avis du médecin du travail […] que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’entreprise » (C. trav., art. L. 1226-2-1).

A noter que dans une tentative d’harmonisation, les mentions « tout maintien du salarié dans l’entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé » et « l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’entreprise » sont désormais employées indifféremment en cas d’inaptitude consécutive à un AT/MP ou à une maladie ou un accident non professionnels.

L’expression « dans l’entreprise » employée pour ce nouveau cas de dispense suscite les mêmes interrogations : la dispense de reclassement est-elle là encore circonscrite à l’entreprise et persistante dans le reste du groupe ? La prudence conduit à le penser.

  • La création d’une présomption de respect de l’obligation de reclassement

Le projet de loi El Khomri entend ajouter un troisième alinéa à l’article L. 1226-2-1 du code du travail (inaptitude consécutive à une maladie ou un accident non professionnel) : « L’obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l’employeur a proposé, dans les conditions prévues à l’article L. 1226-2, un poste prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail. »

Une présomption de respect de l’obligation de reclassement est donc mise à jour, allégeant considérablement les contraintes pesant jusqu’alors sur l’employeur. Ce dernier devait proposer tout « autre emploi approprié [aux] capacités » du salarié, en prenant en compte « les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il [formulait] sur l’aptitude du salarié à exercer l’une des tâches existantes dans l’entreprise » (C. trav., art. L. 1226-2).

L’obligation subsiste. Elle se trouve néanmoins atténuée, dès lors qu’une seule et unique proposition conforme autorise désormais à présumer que l’employeur a respecté son obligation de reclassement. Il revient alors au salarié de démontrer que l’employeur ne lui a pas proposé tous les postes de reclassement disponibles.

La tâche peut sembler ardue dès lors que le salarié n’a pas connaissance de la situation des entreprises du groupe et ne peut pas les interroger directement, contrairement à l’employeur. Mais il s’agit d’une présomption simple, qui peut être renversée par la preuve contraire. Dès lors, il ne sera pas nécessairement difficile au salarié de prouver que l’employeur a manqué à son obligation de reclassement.

Si la recherche de reclassement pouvait parfois sembler trop étendue, voire artificielle, et que l’allègement de l’obligation de reclassement était le bienvenu, pour autant attention aux employeurs à ne pas verser dans l’excès inverse et estimer l’obligation de reclassement respectée à l’évocation d’un seul poste disponible.

Labat_Raphaelle_ARLA5481.couleur 2Raphaëlle Labat
Juriste
Cabinet d’avocats FIDAL

 

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