La Commission européenne publiait le 16 décembre 2022 au Journal officiel de l’Union européenne la nouvelle directive relative à la publication par les entreprises d’informations en matière de durabilité (acronyme CSRD pour Corporate Sustainability Reporting Directive), dont la transposition par les États membres de l’Union Européenne interviendra d’ici le 6 juillet 2024.
La directive CSRD vient réviser la Directive NFRD (Non Financial Reporting Directive) dont la transposition en 2017 avait introduit l’obligation du reporting extra-financier et fixé le contenu de la Déclaration annuelle de performance extra-financière (DPEF). Ce système antérieur avait été critiqué en ce qu’il ne définissait pas de cadre commun de reporting ce qui rendait difficile la comparaison entre les informations communiquées par les entreprises.
La CSRD s’inscrit dans la ligne du Pacte vert pour l’Europe (décembre 2019) dans le cadre duquel l’Europe s’engage à devenir le premier continent au monde neutre pour le climat d’ici 2050, en transformant l’Union européenne en une économie moderne, sobre en matière d’utilisation des ressources et compétitive.
L’enjeu du reporting de durabilité prévu par la CSRD est de définir des informations fiables, pertinentes et comparables entre les acteurs économiques, en intégrant des données citées par le règlement européen sur la taxonomie verte (juin 2020) qui organise une classification des activités en fonction des objectifs d’atténuation et d’adaptation au changement climatique.
Eliane Chateauvieux, Avocate associée du cabinet ACTANCE, et Elsa Layani, Juriste, pointent certains aspects du texte pour inviter les entreprises à en appréhender les enjeux en matière de droit du travail.
1- L’élargissement progressif du champ des entreprises concernées
La transposition de la directive permettra d’élargir le champ des entreprises concernées par l’obligation annuelle de reporting extra-financier.
Au-delà des entités d’intérêt public (sociétés cotées, établissements financiers et entreprises d’assurance) de plus de 500 salariés qui se trouvaient déjà concernées par ce type d’obligations, seront concernées par le rapport de durabilité, à compter de l’exercice commençant le 1er janvier 2025, les grandes entreprises (cotées ou non cotées) qui satisfont à au moins deux critères parmi ceux suivants : 250 salariés, 40 M€ de chiffre d’affaires net, 20 M€ de total de bilan. Puis, à partir du 1er janvier 2026, seront concernées les PME cotées qui satisfont au moins deux critères parmi ceux suivants : entre 10 et 250 salariés, entre 700 K€ et 40 M€ de chiffre d’affaires net, entre 350 K€ et 20 M€ de total de bilan. Peu importe la forme juridique de la société, l’obligation couvrant donc également la société par actions simplifiée (SAS). Les PME non cotées sont quant à elles encouragées à publier de manière volontaire les informations de durabilité simplifiées qui les concernent ; l’encouragement est en réalité une quasi-obligation économique puisque, en étant souvent intégrées à la chaine de valeur de sociétés plus importantes, soumises à la CSRD, ces PME non cotées seront tenues de leur fournir des informations concernant leur propre durabilité.
S’agissant des groupes de sociétés, les informations devront être publiées par la société de tête, des filiales pouvant toutefois considérer leur intérêt à publier leur propre rapport de durabilité lorsqu’elles ont des activités singulières au sein du groupe et/ou qu’elles mènent des démarches particulières sur les sujets environnementaux et sociétaux.
2– Le futur rapport de durabilité
Le rapport de durabilité remplacera la déclaration de performance extra-financière (DPEF) à laquelle les grandes entreprises sont actuellement assujetties. Il devra figurer dans une section dédiée et clairement identifiée du rapport de gestion établi chaque année par la société.
Les entreprises soumises à la directive CSRD devront appliquer des normes de reporting se basant sur des critères communs déterminés en fonction des objectifs climatiques définis par l’Union Européenne.
L’élaboration de normes communes obligatoires d’informations en matière de durabilité des entreprises, reposant sur une matrice commune de reporting, est destinée à garantir la fourniture d’informations pertinentes et à permettre que les informations en matière de durabilité aient un statut comparable et aussi fort que celui relatif aux informations financières. L’objectif de la Commission est de créer les conditions « d’un flux cohérent d’informations sur la durabilité qui irriguerait toute la chaine de valeur financière et profiterait aussi aux autres parties prenantes ».
La directive autorise la Commission européenne à adopter, par actes délégués, des normes standardisées de durabilité (acronyme ESRS pour European Sustainability Reporting Standards). La Commission européenne précisera d’ici le 30 juin 2023, à destination du premier niveau d’entreprises concernées, les informations contenues dans ces normes.
Les informations qualitatives et quantitatives seront relatives à l’impact environnemental et social de leurs activités, les droits humains, les facteurs de gouvernance et la lutte contre la corruption et les actes de corruption. Elles devront délivrer des informations relatives aux objectifs de durabilité à long terme qu’elles se fixent et mesurer leurs progrès vers l’atteinte de ces objectifs. L’entreprise décrira par exemple la manière dont ses activités impactent le climat et quelle est sa stratégie pour limiter cet impact.
Il reviendra à ces entreprises de publier la part de leur chiffre d’affaires, le montant de leurs dépenses d’investissement ( « CapEx ») ainsi que de leurs dépenses d’exploitation (les « OpEx ») qui, au cours de l’exercice, proviennent d’activités définies comme durables d’un point de vue environnemental et social, avec des attentions particulières portant sur les actions touchant au climat, à la protection de la biodiversité et à l’économie circulaire.
Ces sujets figurent parmi les objectifs environnementaux prônés par le règlement Taxonomie (juin 2020) classifiant de manière standardisée 90 activités économiques, représentant plus de 93 % des émissions de gaz à effet de serre de l’Union Européenne, au regard de leur impact sur le climat et l’environnement au sens large, dont les questions liées à la biodiversité et à l’économie circulaire. La taxonomie entraine inévitablement une forte pression sur les acteurs économiques par le jugement qui peut être porté par les parties prenantes (dont les financeurs, les ONG, les salariés, les syndicats) sur les activités des entreprises. Elle permet aux entreprises de prendre en compte les enjeux extra-financiers de leurs activités et organisations, en se posant la question de leurs impacts, grâce à des outils tels que des matrices de matérialité, des bilans carbone, des analyses du cycle de vie (ACV), et de l’éventuelle transformation possible de leur modèle industriel selon une approche plus vertueuse.
La Directive CSRD valorise le fait que la publication d’informations en matière de durabilité permettra d’aider les entreprises à recenser et gérer leurs propres risques et opportunités liés aux questions de durabilité, à servir de base à une amélioration du dialogue et de la communication entre les entreprises et leurs parties prenantes (ce qui comprend les salariés et leurs représentants) et à améliorer leur réputation.
Les informations publiées devront adresser une perspective de « double importance relative », en permettant d’appréhender les sujets selon deux points de vue :
- celui des risques pour l’entreprise (comme par exemple le risque d’une pénurie de matière première essentielle à la production ou celui d’une crise industrielle liée à des conditions météorologiques extrêmes), les informations étant alors destinées à comprendre l’évolution des affaires, des résultats et de la situation de l’entreprise, et,
- celui des incidences de l’entreprise, les informations étant alors nécessaires à la compréhension de l’incidence des activités de l’entreprise sur les questions environnementales (comme l’atteinte à la biodiversité), sociales (comme des organisations comportant des violations des droits de l’homme dans la chaîne de valeur d’une industrie) et la lutte contre la corruption et les actes de corruption.
3- Les normes d’information concernant les facteurs liés aux droits sociaux et aux droits de l’homme
Les normes d’information en matière de durabilité devraient préciser, en ce qui concerne plus particulièrement les facteurs liés aux droits sociaux et aux droits de l’homme, les informations portant sur :
- L’égalité de traitement et l’égalité des chances pour tous, y compris l’égalité de genre et l’égalité de rémunération pour un travail de valeur égale, la formation et le développement des compétences, l’emploi et l’inclusion des personnes handicapées, les mesures de lutte contre la violence et le harcèlement sur le lieu de travail et la diversité ;
- Les conditions de travail, y compris la sécurité de l’emploi, le temps de travail, des salaires décents, le dialogue social, la liberté d’association, l’existence de comités d’entreprise, la négociation collective, y compris la proportion de travailleurs couverts par des conventions collectives, les droits des travailleurs à l’information, à la consultation et à la participation, l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, la santé et la sécurité ;
- Le respect des droits de l’homme, des libertés fondamentales, des principes et normes démocratiques établis dans la Charte internationale des droits de l’homme et d’autres conventions citées par la Directive.
Ces sujets seront prédominants dans le volet droits sociaux des rapports de durabilité.
4- Les discussions avec les représentants des travailleurs
Depuis la loi Climat et Résilience (août 2021), le comité social et économique (CSE) d’une entreprise de plus de 50 salariés doit être informé des conséquences environnementales de l’activité de l’entreprise au cours des consultations récurrentes prévues par l’article L2312-17 du Code du travail (orientations stratégiques de l’entreprise, situation économique et financière de l’entreprise, politique sociale de l’entreprise, conditions de travail et emploi). La base de données économiques, sociales et environnementales accessible aux élus du CSE et aux délégués syndicaux rassemble l’ensemble des informations nécessaires à ces consultations et informations récurrentes. Elle comporte notamment, sans qu’il soit possible de déroger à cette règle, les informations sur les conséquences environnementales de l’activité de l’entreprise (article L2312-21 du Code du travail).
La Directive CSRD précise que la Direction de l’entreprise informe les représentants des travailleurs au niveau approprié et discute avec eux des informations pertinentes et des moyens d’obtenir et de vérifier les informations en matière de durabilité. Elle ajoute que l’avis des représentants des travailleurs est communiqué, le cas échéant, aux organes d’administration, de direction ou de surveillance concernés. Le terme « avis » employé dans la directive CSRD laisse supposer que le CSE devra être informé et consulté sur les informations en matière de durabilité, ce que devrait prévoir la loi de transposition de la directive dans le droit français.
Les entreprises assujetties à la CSRD devront anticiper l’importance des informations à communiquer, avec la perspective de cette « double importance relative », et la prendre en compte dans la détermination de leur stratégie, de leurs engagements ou d’évolution de leur modèle d’affaires.
La directive CSRD pourrait aussi permettre aux entreprises de disposer, au travers de leur démarche en faveur de la durabilité, de leviers de croissance et d’un axe sur lequel agir pour améliorer leur notation extra-financière et attirer les investisseurs ou faciliter la souscription d’emprunts auprès des banques (prêts à impact, moins couteux qu’un prêt classique) puisque ces dernières doivent elles aussi reporter de la part durable des prêts qu’elles allouent.
Elle est le point d’orgue des objectifs annoncés dès 2018 par la Commission européenne dans son plan d’action visant notamment à orienter les flux de capitaux vers des investissements durables répondant aux objectifs climatiques poursuivis par l’Union européenne, à gérer les risques financiers induits par le changement climatique, l’épuisement des ressources et les problématiques sociales, et à favoriser une vision prospective et de long terme des activités économiques et financières.
Le concept de la durabilité a aussi inspiré la récente révision du code AFEP-MEDEF (décembre 2022) pour mieux intégrer les sujets de RSE, d’une part en confiant au conseil le soin de déterminer les orientations stratégiques pluriannuelles en matière de responsabilité sociale et environnementale, en ce compris le climat (pour lequel la stratégie doit comporter des objectifs précis) et, d’autre part, prévoir que la rémunération des mandataires sociaux intègre plusieurs critères liés à la RSE dont au moins un critère en lien avec les objectifs climatiques de l’entreprise.
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