Transition numérique et droit social : des enjeux et des opportunités pour les entreprises

transformation numerique

Leila BenaissaRault_Olivia_AORL2250_2Leila Benaissa Avocat, Département droit économique Pôle PI-TI, Cabinet Fidal
et Olivia Rault-Dubois
Avocat Associée, Département droit social, Cabinet Fidal

Le Conseil national du numérique a remis le 6 janvier 2016 à la Ministre du Travail, Myriam El Khomri, un rapport intitulé « Les nouvelles trajectoires » formulant 20 propositions pour le travail et l’emploi à l’heure du numérique.

Ce rapport fait suite au rapport « Transformation numérique et vie au travail » remis par Bruno Mettling en septembre 2015 et s’inscrit plus largement dans les différents projets de loi en cours d’examen et à venir : réforme du code du travail, projet de loi pour une République numérique, ou encore le futur projet de loi sur les nouvelles opportunités économiques dit « loi NOE » ou « loi Macron 2 » qui devrait comporter des dispositions favorables au développement des relations dématérialisées.

On peut craindre cette révolution numérique mais on ne peut y échapper. La transition numérique est une tendance irréversible qui présente des enjeux majeurs notamment dans les relations de travail quelque soit le secteur d’activité. Il est dès lors impératif de l’intégrer et de l’accompagner afin qu’elle constitue un atout pour l’entreprise (gain de performance, amélioration de la qualité de vie au travail, anticipation des compétences de demain…) et non une entrave.
Bouleversements induits par la transition numérique dans l’entreprise

La transition numérique impacte de manière majeure l’organisation du travail. Alors que nous étions habitués au salariat, le numérique entraîne une augmentation de l’activité hors salariat. Sans aller jusqu’à cette extrémité, les modalités d’exercice du salariat sont également modifiées. De nouvelles formes de travail émergent et se propagent parfois sans encadrement juridique adapté. Le traditionnel télétravail depuis le domicile du salarié se voit dépassé par des modes de travail distant en bureaux déportés, en tiers lieux (coworking…) ou encore en pur nomadisme. Même si cela apporte une indéniable souplesse pour le salarié, l’entreprise se doit de sécuriser juridiquement ce genre de pratiques et d’adapter ses méthodes de management à cette relation de travail où le lien de subordination se distend.

Même dans l’ exercice « classique » de son activité au sein de l’entreprise, le salarié utilise de plus en plus fréquemment des équipements informatiques personnels (tablettes, smartphones…) à des fins professionnelles (BYOD : « Bring your own device »), ce qui risque d’engendrer des problématiques de sécurité informatique, de confidentialité des données de l’entreprise, y compris les données personnelles des salariés, et de conciliation avec la vie privée du salarié.

De même, les connexions aux différents médias sociaux par certains salariés ou clients accentuent pour l’entreprise le risque d’atteinte à sa e-réputation. Les réseaux sociaux, sur lesquels peuvent s’exprimer les salariés peuvent engendrer des dérives importantes.

Face à ce risque, beaucoup d’entreprises ont opté pour des solutions informatiques destinées à effectuer une veille permanente sur les médias sociaux et détecter les éventuels risques psychosociaux, les incivilités, les risques de diffamation ou de dénigrement. Cette pratique, appelée « social listening », permet à l’entreprise d’anticiper les risques et d’agir en conséquence ce qui n’est pas neutre sur le terrain de la réglementation applicable au traitement des données à caractère personnel.

Le droit du travail n’est pas épargné non plus par l’émergence de l’économie collaborative qui présente des avantages financiers et organisationnels indéniables pour l’entreprise donneuse d’ordre, le travailleur indépendant et les clients finaux. Le risque de sanctions au titre du travail dissimulé est particulièrement important. À cet égard, la « labor Commission of the State of California » (Commission de travail de Californie) a reconnu dans une décision du 16 juin 2015 la qualité de salarié à un chauffeur de voiture de transport avec chauffeur (VTC) qui exerçait pourtant en toute indépendance.

Ces nouvelles pratiques nécessitent un encadrement adéquat et militent en faveur de la mise en place de certains outils destinés à anticiper et gérer les risques induits par le numérique.

Les recommandations /actions à mener

Pour répondre à ces nouvelles problématiques, il est recommandé que l’entreprise établisse un état des lieux des pratiques en vigueur et de son corpus juridique afin de l’adapter le cas échéant. Elle doit aussi identifier ses besoins à court et moyen terme afin d’être en mesure d’anticiper les changements.

Par exemple, si les salariés ont recours aux BYOD et que cette pratique n’est pas encadrée, il est indispensable de compléter les accords ou chartes « informatiques » de dispositions relatives à celle-ci. Ce pourra être également l’occasion d’intégrer de nouvelles dispositions relatives notamment au droit à la déconnexion.

L’entreprise doit impérativement sécuriser les nouvelles formes de travail (coworking, travail nomade…) au regard notamment des accidents du travail et maladies professionnelles , de la durée du travail, de la confidentialité des données, de la santé et la sécurité au travail au moyen d’un accord, d’une charte sur le télétravail et le travail distant.

Face à la multiplication des données, l’entreprise doit également mettre en œuvre une politique interne de gestion des données personnelles (droits d’accès, traitement, conservation des données relatives aux salariés, etc.) au regard des nouvelles réglementations.

Plus largement, l’entreprise doit se préoccuper de :
– L’organisation du dialogue social (accès aux outils numériques par les représentants du personnel, visioconférences, utilisation de l’intranet, etc.)
– L’adaptation de l’accord de GPEC aux nouveaux enjeux avec identification des compétences de demain
– La sensibilisation et formation des managers aux nouveaux modes de management rendus nécessaires par ces nouvelles formes de travail
– La sensibilisation et formation des équipes RH aux enjeux juridiques du numérique

Les entreprises ayant recours aux plateformes collaboratives doivent être particulièrement vigilantes notamment à l’ensemble des directives qu’elles seraient tentées de donner aux travailleurs indépendants susceptibles d’alimenter le contentieux de la requalification en contrat de travail, à l’image de ce qui s’est passé aux Etats-Unis pour des plateformes de VTC ou celles proposant des prestations de ménage à domicile.

Le Conseil national du numérique propose à cet égard d’encadrer les plateformes via notamment l’application d’un principe de loyauté. Le projet de loi pour une république numérique propose également d’encadrer les plateformes numériques en leur imposant « de délivrer une information loyale, claire et transparente (…) » en faisant notamment apparaître « l’existence ou non d’une relation contractuelle ou de liens capitalistiques avec les personnes référencées ; l’existence ou non d’une rémunération par les personnes référencées et, le cas échéant, l’impact de celle‐ci sur le classement des contenus, biens ou services proposés …».

Reste à savoir comment ce principe de loyauté sera appliqué s’agissant des relations de travail…

Enfin, le paquet « données personnelles », qui a fait l’objet d’un accord européen en trilogue le 15 décembre 2015, renforce les droits des personnes physiques en leur octroyant une maîtrise accrue de leurs données personnelles via notamment la création d’un droit à la portabilité des données, la consécration du droit à l’oubli ou encore le droit d’être informé en cas d’accès non autorisé aux données personnelles. Les entreprises, et plus généralement tout responsable de traitement, vont être tenues de notifier à l’autorité nationale de contrôle, sans délai, les violations de données graves, afin que les utilisateurs puissent prendre les mesures appropriées.

Cette réforme impactera directement les fichiers RH qui contiennent souvent des données à caractère personnel (recrutement, gestion de carrière, formations, sanctions disciplinaires, etc.) voire des données sensibles sur les salariés (vie privée, maladie, etc.) dont la collecte est en principe interdite.

Les entreprises doivent donc dès à présent intégrer la nécessité de conformité de ces fichiers à la réglementation applicable en matière de données personnelles. Les dispositifs de vidéosurveillance et alertes n’y échappent pas non plus. Sans une prise de conscience rapide et un investissement de chaque acteur de l’entreprise, la transition numérique ne constituera pas un facteur de développement et de performance mais entraînera une perte de compétitivité indéniable.

Laisser un commentaire