Loi Rebsamen : un progrès social majeur

isabelle Schuke NielMaître Isabelle SCHUCKÉ- NIEL est avocate au barreau de Paris et spécialiste du droit du travail. Elle anime chez EFE les formations « Les départs négociés » et « Les DRH et la dimension sociale de la RSE ».

1- La Rédaction Analyses Expert – Quelle est la genèse de la loi Rebsamen ?

La loi Rebsamen du 17 aout 2015 répond à un défi politique majeur que s’est assigné le gouvernement.

Reprendre la main à travers un projet de loi pour faire de la modernisation du dialogue social « un progrès social majeur ».

Après un général satisfecit de conclusion en 2 ans de 4 ANI, il s’agissait de faire oublier l’échec cuisant de la 7ème séance de négociation entre patronat et syndicats le 22 janvier 2015 au Medef sur la question toujours emblématique dans notre pays de la modernisation du dialogue social.

La CGPME était ferment opposée à une représentation des salariés dans les TPE. Le projet d’accord initial présenté par le gouvernement prévoyait aussi de fusionner toutes les prérogatives des instances représentatives du personnel ( DP, CE et CHSCT) en une instance unique, le conseil d’entreprise.

Le MEDEF aspirait lui à un système de représentation dont la clé de voûte reposait essentiellement sur la disparition du CHSCT (dont les origines remontent à l’année 1893 ) et celle de la double consultation CE/CHSCT, au moins dans les entreprises de moins de 300 salariés.

La loi Rebsamen entendait donc s’attaquer directement à l’épineux sujet de la représentation du personnel pour rebondir sur celle de l’animation du dialogue social.

Au final, la loi pour ne fâcher personne est plutôt équilibrée et tient à la fois compte des attentes des syndicats sans renier celles du patronat. Comme toujours, des insatisfactions de chaque côté demeurent.

2- La Rédaction Analyses Expert – Quelles sont les dispositions majeures de la loi Rebsamen ?

Au chapitre des dispositions les plus singulières dont l’efficacité reste à démontrer figure la création des commissions régionales paritaires interprofessionnelles. Ainsi, à compter du 1er juillet 2017, les 4,6 millions de salariés des TPE (ayant moins de 11 salariés) seront représentés en dehors du cadre de leur entreprise et pourront recevoir des conseils à l’occasion de conflit.

Très attendu, l’article 55 de la loi autorise deux renouvellements du CDD sans modifier la durée de principe de 18 mois.

L’épuisement professionnel ou burn-out peut être désormais reconnu comme pathologie psychique d’origine professionnelle.

Très critiqué par le patronat car jugé trop complexe, le dispositif de mise en place du compte de pénibilité est simplifié.

Les fiches individuelles de prévention des expositions sont supprimées à la plus grande satisfaction des entreprises.

Mais les mesures les plus novatrices concernent le dialogue social et au premier chef les instances représentatives du personnel dont le regroupement est désormais autorisé. C’est sur le regroupement que réside l’apport essentiel et majeur de cette loi.

Le seuil de création de la DUP est relevé de 200 à 300 salariés avec la possibilité d’intégrer le CHSCT.

Par accord majoritaire dans les entreprises de 300 salariés et plus, le regroupement des instances DP, CE et CHSCT devient possible.

Enfin, pour alléger l’agenda des entreprises, la loi Rebsamen regroupe à compter du 1er janvier 2016, les 17 informations et consultations annuelles du CE en trois grandes consultations. 1/ sur les orientations stratégiques incluant la GPEC et les orientations de la formation professionnelle 2/ la situation économique et financière de l’entreprise 3/la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi.

Les thématiques de négociations annuelles obligatoires subissent la même cure de rationalisation dans un souci de simplification.

Aucun thème de consultation ou de négociation n’est supprimé. L’objectif du législateur est de redonner de la cohérence et de la consistance au dialogue social qui ne pouvait que s’appauvrir et se diluer par l’effet d’un trop grand nombre de réunions précédemment exigé.

Enfin, la loi clarifie les compétences des instances dans les entreprises dotées de CCE et de CHSCT.

3- La Rédaction Analyses Expert -Quel impact va-t-elle avoir sur les négociations et les consultations obligatoires ?

Le premier impact est de repenser l’agenda social de l’entreprise qui va s’en trouver allégé à moyen et long terme.

Il s’agit là d’un changement de pratique notoire en termes de périodicité, de contenu et donc de stratégie RH dans l’animation du dialogue social.

En diminuant le nombre de réunions et en regroupant les thématiques de consultations, le législateur entend enrichir le dialogue social. C’est sur ce point que les directions des ressources humaines des grandes entreprises seront très attendues et observées par leurs partenaires sociaux, qui n’entendent pas être lésés.

4- La Rédaction Analyses Expert -Quels sont les enjeux majeurs qui attendent les entreprises depuis la promulgation de la loi le 18 août 2015 ?

De façon cynique, on peut dire que le burn-out comme maladie professionnelle est promis à un bel avenir… vue la multiplication des contentieux ces dernières années laissant émerger une question en lien avec une maladie psychique pour sa reconnaissance en maladie professionnelle ou l’allocation de dommages et intérêts.

L’enjeu majeur se situe au niveau du CHSCT et de façon plus générique au niveau du dialogue social qui se trouve totalement réarticulé.

Le CHSCT était sans nul doute dans la configuration du texte de loi initial, l’instance la plus menacée jusqu’à sa suppression.

Grâce à la loi Rebsamen, le CHSCT résiste et sort même de la réforme renforcé.

Dans les entreprises inférieures à 300 salariés, un regroupement des instances sera opéré entre DP, CE et CHSCT. Seul cas de disparition du CHSCT en tant qu’instance autonome, mais sans conséquence sur ses attributions. Si l’avis unique est possible, en revanche le support d’acteurs palliatifs de proximité (médecin du travail et inspecteur du travail) est maintenu.

Dans les entreprises supérieures à 300 salariés, le regroupement de ces mêmes instances reste facultatif car la loi le subordonne à la conclusion d’un accord majoritaire qui définira des règles propres de fonctionnement pour traiter les questions relevant de la compétence du CHSCT.

Le regroupement des instances n’entraînera donc jamais la disparition par fusion absorption du CHSCT comme le souhaitait le MEDEF lors des négociations de janvier.

A ce jour, la conscience collective aux niveaux national et européen de la nécessaire prise en compte en amont des problématiques santé et sécurité au travail dans les dispositifs de prévention est suffisamment forte et répandue pour que fonctionnant en instance autonome ou pas le CHSCT continuera de prendre toujours plus d’essor dans les entreprises à l’instar de son développement sur ces 15 dernières années.

De plus, l’ensemble des problématiques de prévention est contenu dans une obligation légale de résultat pesant à la charge de l’employeur.

5- La Rédaction Analyses Expert -A quoi devront veiller les juristes et RH des entreprises pour respecter les nouvelles dispositions ?

Comme pour favoriser l’application de chaque nouvelle réforme d’ampleur à destination des entreprises, le maître mot est la formation.

Il est urgent pour les entreprises de s’informer sur cette réforme, d’en comprendre l’esprit et les enjeux pour ensuite pouvoir efficacement communiquer en interne et diffuser les meilleures pratiques.

A mon sens, tous les acteurs en lien avec les instances représentatives du personnel doivent être formés au moyen de jeux de rôle pour mieux appréhender l’animation de ce nécessaire nouveau dialogue social.

L’échéance étant le 1er janvier 2016, d’ici cette date c’est la pratique de chaque information consultation qu’il convient de revisiter pour se mettre en conformité avec les 3 grandes familles de réunions.

De nombreux arbitrages devront être faits. Au final, il ne s’agit pas de se précipiter sur les opportunités que peuvent présenter la réduction parfois illusoire du nombre de ses instances ou du nombre de réunions à tenir mais d’insuffler véritablement une nouvelle manière de dialoguer avec ses instances.

C’est le moment de repenser totalement le positionnement du dialogue dans son entreprise donc la place des élus, leur formation, leur parcours professionnel.

Cette réforme doit servir à anticiper la place qui sera faite demain à l’accord d’entreprise appelé à se substituer à la loi et réfléchir à l’émergence de ses futures organisations syndicales.

Il est donc urgent pour les entreprises de se donner les moyens d’attirer dans leurs instances des nouveaux profils. Ceux-là mêmes qui négocieront demain le nouveau droit du travail de l’entreprise.

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