Interview d’Arnaud Sainte Marie

arnaud sainte marieArnaud Sainte Marie
Avocat Associé au Département Droit Social du Cabinet FIDAL
Responsable National du Pôle Paye

Le forfait social : une contribution en pleine croissance

Rédaction Analyses Experts : Quelle est l’origine du forfait social ?

Arnaud Sainte Marie : Le forfait social a été créé par la loi de financement de la sécurité sociale 2009[1] pour faire la chasse aux « niches sociales » et renflouer les produits de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie.

Le forfait social est entré en vigueur le 1er janvier 2009.

Quel est son principe d’application ?

À l’origine, et tel que prévu par l’article L.137-15 du Code de la Sécurité Sociale, cette contribution patronale s’applique sur les sommes qui sont assujetties à CSG et CRDS (mentionnée à l’article L.136-1 du Code de la Sécurité Sociale), mais qui ne sont pas soumises à cotisations sociales telles que définies aux articles L.242-1 du Code de la Sécurité Sociale et L.741-6 du Code Rural.

  • Au début, un champ d’application et un taux contenus

En terme pratique, sont concernés (article L.137-15 du Code de la Sécurité Sociale et la circulaire DSS/SD5B/2008/387 du 30 décembre 2008) :

– Les sommes versées au titre de la participation et du supplément de réserve spéciale de participation

– Les sommes versées au titre de l’intéressement, du supplément d’intéressement et de l’intéressement de projet

– L’abondement patronal au PEE, PEI et au PERCO

– Les contributions patronales de retraite supplémentaire pour la part exonérée de cotisations de Sécurité Sociale (régime collectif et obligatoire à cotisations définies exclusion faite des contributions versées pour un régime à prestations définies)

– Était également concernée en son temps, la prime d’intéressement d’au plus 1 500 € que les employeurs pouvaient verser aux salariés jusqu’au 30 septembre 2009, telle que prévue par la loi sur les revenus du travail

À l’époque étaient donc exclues l’indemnité de rupture conventionnelle et les contributions patronales de prévoyance complémentaire.

Un champ d’application élargi et un taux augmenté

  • Une première étape en 2010

À compter du 1er janvier 2010, le taux du forfait social était porté à 4 %.

Avec la loi de financement de la Sécurité Sociale pour 2010[2] l’assiette du forfait social est élargie et son taux augmenté.

En effet, l’article L.137-15 du Code de la Sécurité Sociale est complété par deux alinéas et sont intégrés à compter du 1er janvier 2010 :

– Les sommes versées au titre de l’épargne salariale à des chefs d’entreprise, gérants majoritaires, conjoints collaborateurs ou associés (intéressement, participation, PEE) : article L.137-15 alinéa 2 du Code de la Sécurité Sociale

– Les jetons de présence et rémunérations spéciales (ou exceptionnelles pour des mandats ou missions) versées aux administrateurs et membres des conseils de surveillance des SA et des SELAFA

Bien entendu, ne sont pas soumis au forfait social, les jetons de présence alloués aux administrateurs assurant également les fonctions de président du conseil d’administration, des directeurs généraux ou directeurs généraux délégués qui sont déjà soumis (comme leur rémunération) à cotisations sociales.

Il convient de préciser ici, et contrairement à la confusion ou l’erreur qui a pu être commise à l’occasion de la loi de financement de la Sécurité Sociale 2010, que les sommes perçues par les présidents, directeurs généraux, gérants minoritaires et les membres du directoire au titre de l’épargne salariale, étaient déjà assujetties au forfait social (cet assujettissement n’était donc pas né avec la loi de financement de la Sécurité Sociale 2010 qui, en revanche, a assujetti les sommes perçues à ce titre par les gérants majoritaires, conjoints collaborateurs ou associés).

La loi portant réforme des retraites du 9 novembre 2010[3] a prévu que devait être soumise au forfait social la part salariale des cotisations de retraite complémentaire obligatoire prise en charge par l’employeur, étant précisé que, normalement, cette prise en charge est assujettie à cotisations sociales et n’est donc pas soumise au forfait social.

Exception : la prise en charge par l’employeur de tout ou partie des cotisations salariales de retraite complémentaire obligatoire dans le cadre, pour un salarié à temps partiel, du maintien du calcul des cotisations de retraite sur la base d’un salaire à temps plein (cotisation sociale vieillesse + retraite complémentaire : article L.241-3-1 du Code de la Sécurité Sociale) et les cotisations versées par l’employeur pendant la suspension du contrat de travail pour un congé familial (congé parental d’éducation, congé de solidarité familiale, congé de soutien familial et congé de présence parentale) selon les conditions déterminées par accord collectif (et ce pour une durée maximale de six mois puisque au-delà, la prise en charge par l’employeur est soumise à cotisations sociales[4]).

Les contributions patronales relatives à la prise en charge des cotisations salariales de retraite complémentaire obligatoire sont donc, pour ces deux cas, soumises au forfait social depuis le 1er janvier 2011.

  • Le 1er janvier 2011, le taux du forfait social augmente pour être porté à 6 %.

En 2011 également, la prime de partage des profits instaurée[5] qui concerne les sociétés commerciales qui distribuent à leurs associés ou actionnaires des dividendes dont le montant par part sociale ou par action est supérieur à la moyenne de ceux versés au titre des deux exercices précédents et qui emploient au moins 50 salariés, est assujettie au forfait social dans la limite maximale de 1 200 € (montant maximal par an et par salarié exonéré de cotisations).

  • En 2012, le forfait social passe à 8 %.

Outre cette augmentation, ce forfait social se substitue également à la taxe de 8 % qui portait sur les contributions patronales de prévoyance complémentaire alors que, jusque là, ces contributions étaient expressément exclues du forfait social.

Dès lors, les contributions patronales de prévoyance complémentaire prévues à l’article L.242-12 du Code de la Sécurité Sociale entrent dans la base de calcul dudit forfait lorsqu’elles sont exonérées de cotisations de Sécurité Sociale (limites fixées par l’article D.242-1 du Code de la Sécurité Sociale), étant précisé qu’elles sont soumises à CSG et CRDS.

Les contributions versées au bénéfice de salariés, anciens salariés et leurs ayant droits par des employeurs de moins de 10 salariés sont exonérées.

À noter que :

– La taxe de 8 % sur les contributions patronales de prévoyance complémentaire était applicable pour les employeurs de plus de 9 salariés, alors que le forfait social est applicable aux employeurs d’au moins 10 salariés (autrement dit un employeur disposant d’un effectif équivalent temps plein de 9,50 salariés, bien qu’assujetti auparavant à la taxe sur les contributions patronales de prévoyance complémentaire, n’est pas assujetti au forfait social)

– L’assiette du forfait social est moins large que l’assiette de la taxe de 8 % puisque celle-ci portait sur l’ensemble des contributions patronales de prévoyance complémentaire (non seulement celles dues en application d’un régime collectif et obligatoire, mais également sur celles découlant d’un régime individuel ou à adhésion facultative et donc soumises à cotisations sociales), alors que le forfait social ne porte que sur les contributions patronales non soumises à cotisations, c’est-à-dire pour un régime collectif et obligatoire au maximum dans les limites prévues par l’article D.242-1 du Code de la Sécurité Sociale

À partir du moment où ces contributions excèdent les plafonds prévus par l’article cité ci-avant, elles sont soumises à cotisations sociales et échappent alors au forfait social (ce qui peut conduire à une régularisation « négative » du fait de la réduction d’assiette du forfait social).

Les contributions patronales qui portent sur les régimes individuels ou à adhésion facultative, et qui ne bénéficient pas de l’exonération limitée évoquée ci-dessus, ne sont pas soumises au forfait social.

  • Le 1er août 2012, un taux qui atteint presque la moitié du taux global des cotisations patronales.

La loi de finances rectificative 2012[6] augmente le taux du forfait social qui passe de 8 % à 20 % sauf pour les contributions patronales de prévoyance (afin de ne pas pénaliser la mise en œuvre de la protection sociale complémentaire) et les sommes affectées à la réserve spéciale de participation des Sociétés Coopératives Ouvrières de Production (SCOP) pour lesquelles le taux reste fixé à 8 %.

Ce taux représente presque la moitié du taux moyen des contributions patronales de cotisations sociales et cette variation de taux nécessite alors, pour les entreprises qui sont soumises aux deux forfaits, de créer des lignes distinctes sur leur bulletin de paie avec des codes références différents (code 012 pour le forfait 20 % et code 479 pour le forfait 8%).

Sans doute est-il trop tôt pour le dire, mais cette augmentation influera-t-elle sur la mise en place, ou les modalités de calcul, de certains dispositifs d’épargne salariale comme, par exemple, l’intéressement ?

Rédaction Analyses Experts : Quelles sont les nouveautés ?

Arnaud Sainte Marie : 2013 ? une brèche ouverte pour les indemnités de rupture.

Jusqu’alors, les indemnités de rupture, même lorsqu’elles étaient soumises à CSG et CRDS (car excédant les limites légales ou conventionnelles) mais pas à cotisations sociales (car en deçà des plafonds prévus par l’article L.242-1 alinéa 12 du Code de la Sécurité Sociale), n’étaient pas soumises au forfait social.

Avec la loi de financement de la Sécurité Sociale 2013[7], les indemnités de rupture conventionnelle seront désormais soumises au forfait social de 20 % pour la fraction de l’indemnité exonérée de cotisations sociales (réf. régime social des indemnités de licenciement, article L.242-1 alinéa 12 du Code de la Sécurité Sociale).

Les autres indemnités de rupture demeurent exonérées du forfait social.

L’article L.137-15 du Code de la Sécurité Sociale est donc modifié pour prendre en compte l’indemnité de rupture conventionnelle homologuée.

La voie de l’assujettissement des indemnités de rupture semble donc ouverte, d’autant qu’est soumise au forfait social, non seulement la part de l’indemnité qui excède, le cas échéant, le barème légal ou conventionnel et qui, bien que soumis à CSG et CRDS, n’est pas soumise à cotisations sociales (dans les limites prévues par l’article L.242-1 alinéa 12 du Code de la Sécurité Sociale) répondant ainsi aux règles d’assujettissement au forfait social rappelées ci-dessus, mais également la part d’indemnité comprise dans le barème légal ou conventionnel et échappant à la CSG, à la CRDS et à cotisations sociales dans les limites prévues respectivement par les articles L.136-2, II 5§ et L.242-1 alinéa 2 du Code de la Sécurité Sociale.

Autrement dit, est donc désormais assujettie par dérogation, une somme ne répondant pas aux conditions générales fixées par l’article L.137-15 du Code de la Sécurité Sociale.

Ainsi, une indemnité correspondant exactement au barème légal ou conventionnel et qui n’est soumise ni à cotisations sociales, ni à CSG et CRDS, sera assujettie au forfait social de 20 % !

À noter que les indemnités de rupture conventionnelle versées à des salariés pouvant bénéficier d’une pension de vieillesse à taux plein sont intégralement soumises à cotisations et échappent au forfait social.

Il en serait de même de l’indemnité de rupture conventionnelle dépassant 10 plafonds annuels de Sécurité Sociale et soumise à cotisations sociales dès le 1er euro (article L.242-1 alinéa 12 du Code de la Sécurité Sociale)

Cette « extension » s’inscrit dans le fait de soumettre également au forfait social les contributions patronales de prévoyance versées pour les apprentis.

En effet, la circulaire DSS du 18 août 2012[8] prévoit que ces contributions sont soumises, depuis le 1er janvier 2012, au forfait social de 8 % (si l’entreprise emploie au moins 10 salariés) alors qu’elles ne sont ni soumises à cotisations sociales, ni à CSG / CRDS.

Rédaction Analyses Experts : L’élargissement d’assiette du forfait social a-t-elle des « chances » de continuer ?

Arnaud Sainte Marie : Oui, n’oublions pas que le circulaire DSS du 30 décembre 2008 prévoit que la liste des sommes versées au titre du forfait social a vocation à être complétée.

La circulaire réservait cette extension aux sommes exclues de l’assiette de cotisations sociales, mais soumises à CSG et CRDS.

Depuis, la réglementation est allée au-delà.


[1] Loi 2008-1330 du 17 décembre 2008
[2] Loi n° 2009-1646 du 24 décembre 2009
[3] Loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010
[4] Circulaire ACOSS 2011-37 du 29 mars 2011)
[5] Loi 2011-894 du 28 juillet 2011
[6] Loi 2012-958 du 16 août 2012
[7] Loi n°2012-1404 du 17 décembre 2012
[8] Circulaire DSS/5B/2012/319 du 18 août 2012

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